écouter: Joëlle Léandre, à propos de l'improvisation et de son livre A voix basse
A l’occasion de la parution du livre « A Voix basse », le Petit
Faucheux a souhaité proposer une rencontre autour de Joëlle Léandre
animée par Franck Médioni (France Musique). Rencontre avec la
participation de Joëlle Léandre, Quentin Sirjacq (pianiste) et Bernard
Aimé (ancien directeur artistique du Petit Faucheux). Rencontre
enregistrée le 19 septembre 2009 au Petit Faucheux à Tours. La vie manifeste
Joëlle LéandreA voix basse
Entretiens avec Franck Médioni
MF
2008
Présentation de l'éditeur
Ce livre d’entretiens avec Joëlle Léandre s’est construit au fil du
temps, au cours d’une série de rencontres chez elle, à Paris, sur une
période de deux ans. Parallèlement, j’ai mené un travail similaire avec
le pianiste, chef d’orchestre compositeur et improvisateur Martial
Solal. Deux livres d’entretien avec deux musiciens au langage si
singulier, qui se sont comme questionnés et répondus l’un l’autre.
D’emblée s’est affirmée une parole forte, vive, une pensée en mouvement
ample, véloce : Joëlle Léandre telle qu’on la voit, telle qu’on l’entend
en concert. Le geste, le temps, l’explosion de l’instant, elle fait
partie de ceux (John Coltrane, Cecil Taylor, Steve Lacy, Evan Parker,
Daunik Lazro…) qui nous a fait pleinement prendre conscience de ce que
pouvait être l’improvisation, ses (en)jeux, ses géographies intérieures,
ses merveilles. Primauté du jeu, primeur de l’improvisation, confiance
absolue dans l’instant, l’instinct, l’autre, refus des préméditations,
elle porte loin son désir de musique et de liberté. Ses désirs de
musique, inlassablement, elle les poursuit, les harcèle, les rêve. Sa
musique laisse entendre l’urgence de l’instantané (son existence ne
tient qu’à ce que l’instant présente, comprend et convoque d’avenir, en
le précipitant et le désagrégeant), les prises de bec, gestes et
méditations d’artistes libres pour qui la musique est bien vivante, se
vit avant tout sur le moment, dans la jubilation de l’expression
immédiate et souveraine. Oui, l’instant, le présent. Rien d’autre que
l’ouverture du présent, enrobée de tout le passé et de tout le futur. Un
geste improvisé tout autant que composé. Oui, l’écoute, l’écoute
primordiale dans le jeu, la mise en jeu de soi. Et surtout l’immédiateté
de la pensée, l’immédiateté à soi, au monde sonore, et à l’autre.
Improviser, c’est se trouver entre deux mondes, là où rien n’est certain
mais où tout est possible. Joëlle Léandre en parle magnifiquement bien
tout au long de ce livre, l’improvisation, c’est une composition
spontanée, mais aussi et surtout une exploration de la matière sonore
fondée sur le geste musicien. Un geste qui n’a pas de finalité propre :
l’improvisation, acte gratuit et suprême, est dans toute sa massivité
d’être ; c’est un état de désir qui improvise dans le temps réel.
Composition instantanée donc, musique totale ; vibrations, sons, bruits.
Les démarcations qui séparent le son du bruit, comme la musique de la
poésie, sont arbitraires. A ce propos, il est utile de relire Cage et de
réfléchir sur cette pensée de Varèse : « Il n’y a pas de différence
entre le son et le bruit, le bruit étant un son en cours de création. Le
bruit est dû à une vibration non périodique, ou à une vibration qui est
trop complexe dans sa structure, ou d’une durée trop courte pour être
analysée ou comprise par l’oreille. » Les musiciens de jazz, les
improvisateurs sont des personnages sonores. Ils sont leur musique comme
ici, d’une certaine façon, Joëlle est sa parole. Totale adéquation
entre la pensée, les mots et le geste musicien. La musique est chez elle
un work in progress, mouvement permanent, élan vital, recréation
perpétuelle donc, un souffle qui échappe à toute codification et
claustration. En tant que telle, c’est un moyen de connaissance, de
construction de soi autant qu’un exercice de liberté. Joëlle le dit, le
répète tout au long de ce livre, c’est une fille du Sud, une femme de
passion et de patience, une femme de feu. C’est une musicienne en
liberté inconditionnelle, à l’affût, à l’écoute des bruissements du
monde, engagée dans la musique d’aujourd’hui, le bel aujourd’hui, sa
contemporanéité la plus prégnante. Elle se définit comme une musicienne
en vibration, en résistance. « Créer, c’est résister » dit Gilles
Deleuze, rappelle-t-elle au cours des entretiens. Libre et rigoureuse,
elle brasse et embrase la contrebasse d’un même geste passionné. Ses
prestations en solo condensent toutes ses qualités : lyrisme flamboyant,
engagement total du corps musicien et irruption des mots, du chant,
quand le désir d’expression excède la musique. Elle est musicienne
jusqu’au bout de l’archet. D’une certaine façon, ce livre d’entretiens
est autant un ouvrage biographique qu’un manifeste poétique. Il y a chez
elle une pensée libertaire qui place la construction de soi comme une
singularité souveraine. En fait, elle fait partie de cette confrérie
d’artistes et autres aventuriers de la vie qui n’ont jamais eu d’autre
programme que l’enchantement du jour. Elle conteste, revendique et
proteste. Ce sont les propos d’une femme libre. C’est une parole forte,
directe, essentielle. Ecoutez-la.
Contrebassiste, improvisatrice et compositrice, Joëlle Léandre est
une des figures importantes de la nouvelle musique européenne. Formée à
la musique d’orchestre et à la musique contemporaine, elle a joué avec
L’Itinéraire, 2e2m et l’ensemble Intercontemporain. John Cage, Giacinto
Scelsi et Betsy Jolas ont composé pour elle. Elle a travaillé avec les
grands noms du jazz et de l’improvisation, écrit pour la danse, le
théâtre. Son rayonnement est international ; ses activités de créatrice
et d’interprète l’ont amenée sur les scènes les plus prestigieuses. Elle
a enregistré plus d’une centaine de disques.
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