YAYLA
Musique et musiciens de villages en Turquie méridionale
Geuthner
2011
Les Yayla sont les estives où les yörük,
nomades et semi-nomades turkmènes, mènent leurs troupeaux au mois de
mai, dans de longues transhumances ; et c’est plus souvent, désormais,
le lieu où ces nomades ont fini par se sédentariser. Ainsi, au sud-ouest
de la Turquie, non loin de la Méditerranée, dans quelques yayla
du Taurus occidental, des musiciens répètent à l’envi de petites
musiques formulaires pour inciter des parents ou amis à danser. Ceux-ci
enchaînent les figures bras levés, en tournoyant, sur un cycle de quatre
pas, dont un suspendu. La musique du lieu révèle son charme discret,
mais irrésistible : une métrique boiteuse omniprésente, des mélodies
dont l’ambitus ne dépasse guère une sixte, et qu’il est difficile au
premier abord de distinguer entre elles, tant les lois combinatoires de
leur formation sont subtiles. Ainsi ces anciens nomades suspendent-ils
le temps, en l’enfermant dans le cercle de la répétition, de la
ritournelle.
L’ethnomusicologue, venu là d’abord pour apprendre les secrets du bağlama,
petit luth emblématique de cette société, y rencontre l’amitié
indéfectible des maîtres de musique, derniers témoins de la vie
pastorale d’antan. Ensemble ils interrogent le devenir et les mutations
de cette société, depuis le passé préservé dans les mémoires, jusqu’au
présent ethnographique ; en s’immergeant dans le temps vécu, en épousant
ses rythmes, l’ethnomusicologue apprend à capter les vibrations et les
intensités qui traversent ce territoire, à en saisir les enjeux
esthétiques et politiques.
La monographie qui en résulte part de ce petit pays de danseurs, de ses conceptions musicales, de ses habitus,
en explorant les concepts de rythme, de territoire, de minorité, en
interrogeant la nature profonde de ce monde rural qui reste fort peu
étudié par l'anthropologie, et propose une « géomusicologie » : car la
musique est ici non seulement objet d’étude, mais aussi trait d'union
entre un paysage et les hommes qui l’habitent.
Les exemples videos mentionnés dans le livre pour illustrer le propos sont accessibles ci-dessous (téléchargez Quicktime si vous ne pouvez voir les vidéos) :
VIDEO 1 : [p. 92] Le sipsi en écorce de pin, çam düdüğü : Hayri
Dev, Ali Durmuş Yıldırım, Hasan Yıldırım. Avril 2001, à Kapuz, le
hameau de Hasan. Hayri ponctue ses morceaux de cette phrase : « Ramazan, bak oğlum, bi goyun galdı »,
« Ramazan, regarde, mon gars, il reste un mouton », allusion à la garde
des troupeaux. Au début, préparant son hautbois, il plaisante sur la
crise économique que traversait alors la Turquie : « le mouton va
mourir! Il va mourir de la crise »
VIDEO 2 : [p. 96] Visite
à Mehmet Şakır, Hisar, 13 juillet 2003. Akkulak était déjà malade (il
allait mourir en avril 2004), mais toute son énergie se réveillait au
contact de son violon.
VIDEO 3 : [p.101] Ramazan Güngör luthier, avril 1993 : les dernières étapes de la fabrication d'un bağlama, ou comme disait Ramazan, üçtelli kopuz. Voir vidéo 11, pour connaître Ramazan musicien.
VIDEO 4 : [p.144] Août 1991, noce au village de Kumavşarı, un village situé au centre de la « plaine d'Acıpayam ». Davul/zurna au réveil (cf. vidéo 7 pour d'autres séquences de cette même noce). Equipe de zurna de Mustafa Altıok, du village de Kozluca près de Burdur.
VIDEO 5 : [p.148] Noce à Kalınkoz, avril 2001,
non loin de Taşavlu. Alternance entre extérieur et intérieur, entre
tradition locale et musiques d'ailleurs (à 2:26, un « tube » égyptien).
VIDEO 6 : [p.149] Noce à Çiftlik Köyü, 28 avril 1991
: première noce à laquelle j'aie assisté, le 28 avril 1991, lors de mon
tout premier séjour à Acıpayam. Il s'agit du village de Çiftlik, sur le
flanc sud du Boz Dağ, non loin de chez Mehmet Akkulak. (l'indulgence du
lecteur est requise : le matériel vidéo que j'utilisais lors de ce
premier séjour était très médiocre).
VIDEO 7
: [p.152] Territoires de la noce : processions (trousseau, procession
de la maison du marié à celle de son épouse, danses dans la cour de
celle-ci).
VIDEO 8 : [p.157] piknik des “confrères”: Le zeybek « Ibrahim
Usta » dansé par le joueur de zurna Kopuk. 1er mai 1991. Après une
journée d'enregistrements au village de Gölcük (Gireniz, vallée du
Dalaman), le groupe des « confrères » s'isole dans la montagne pour un piknik. Le zurnacı Kopuk Usta, une grande figure de la région, avait revêtu un costume hérité de sa famille. Au saz : Nebi Turan.
VIDEO 9 : [p.162] Un zeybek de Gireniz, Gölcük, 1er mai 1991 : au cours de la même journée, la danse d'un zeybek s'improvise
dans la cour d'une maison. Le danseur en costume bleu est Ramazan Ünay,
nommé aussi Aşık Ramazan (car il est poète et musicien). Une
transcription du zeybek est proposée pour mettre en évidence la structure.
VIDEO 10 : [p.187] Taşavlu, juillet 2003 (Mehmet Genç et Zafer Dev : saz ; Hayri Dev : “gizli düdük”)
: une petite réunion des meilleurs danseurs des environs. La première
séquence est chorégraphiée. La seconde (à partir de 2:35), est
improvisée, spontanée.
VIDEO 11 : [p. 227] Ma première rencontre avec Ramazan Güngör, pendant l'été 1991.
VIDEO 12 : [p.258] Hayri Dev, claquements de doigts
VIDEO 13 : [p. 265] Hayri Dev et l’air “Akkulak” : en 2+2+2+3, ou 3+2+2+2?
Les vidéos 3, 4, 6, 7, 8, 9
et 11 on été filmées avec du matériel très moyen (caméscope 8) :
l’indulgence du lecteur est donc requise...
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