Paru dans les Cahiers de la Guitare n°12 10/1984
Interview de Tristan MURAIL
Rafael Andia : Vous avez
écrit : "Tellur
est le fruit de la rencontre d'un vieux désir - celui d'écrire
pour la guitare en utilisant toutes les techniques de ce qui est pour moi la
"vraie" guitare -et d'un guitariste possédant à fond
ces techniques particulières aussi bien que traditionnelles". Une
question qui intéressera sûrement nos lecteurs : qu'est la "vraie"
guitare ?TRISTAN MURAIL : Mon impression est que la guitare classique telle qu'on l'entend habituellement est une trahison de l'instrument originel : en fait c'est un produit du XIXe siècle. On a cherché à singer les autres instruments et à faire de la guitare quelque chose de respectable, c'est-à-dire capable de jouer de la musique classique. La guitare est à l'origine un instrument "ethnique". D'origine arabe (quitara), elle est recueillie en Espagne pour jouer la musique arabo-andalouse et le flamenco, mais avec une technique de jeu très différente qui aboutit à des sons très différents : ceux que j'utilise dans Tellur.
Ce que j'aime dans la guitare, ce n'est justement pas la guitare de SEGOVIA, son côté poli et bienséant, mais l'utilisation qu'on en fait dans le flamenco et aussi la musique sudaméricaine, bien que je ne raffole pas de ces musiques-là pour elles-mêmes.
R.A. - Alors BACH à la guitare... ?
T.M. - Je trouve cela horriblement ennuyeux ; je préfère l'entendre au clavecin !
R.A. - Quelques guitaristes et certains compositeurs pensent que la guitare à dix cordes apporte une solution au problème de l'écriture contemporaine pour guitare. Qu'en pensez-vous ?
T.M. - Les limitations de la guitare ne viennent pas du nombre de cordes mais bien du nombre de doigts ! Le guitariste n'a de toutes façons que quatre doigts à utiliser à la main gauche. Donc, déjà à sur une six cordes il reste au moins deux cordes qu'on ne peut utiliser qu'à vide ou en barré. Résultat: c'est toujours l'accord à vide qu'on entend (partiellement) dans toutes les pièces de guitare..Dans Tellur, l'écriture en rasgueados sur toutes les cordes m'a posé ce problème : j'avais plutôt deux cordes de trop que quatre de moins !
La "scordatura"(accord de départ mi, la, ré, sol, si, mi modifié) peut aider à tourner cette difficulté. J'ai aussi utilisé l'index de la main droite comme auxiliaire de la main gauche sur la plaque de touches pour obtenir des notes autres que celles des cordes à vide.
Pour des harmonies ou des polyphonies complexes, il existe aussi des subterfuges comme celui de combiner trilles et rasgueados : on peut obtenir ainsi des "accords" de huit sons sur une guitare à six cordes !
R.A. - Que représente Tellur dans votre œuvre ?
T.M. - Tellur est plutôt un défi dans mon œuvre. La nature de la guitare est tellement opposée au type de musique que j'écris. J'utilise habituellement des évolutions de masses de sons, des superpositions complexes. Avec la guitare on n'a pas de masse ni non plus le soutien du son.
R.A. - Ce pari n'était-ce pas un peu la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf ?
T.M. - Oui, il s'agissait de transformer la guitare en orchestre symphonique. Mais non pas par une augmentation de la densité de l'écriture au sens traditionnel, car on atteint très rapidement une limite pour l'exécution. Le travail se fait sur un autre plan : dans l'articulation, les timbres, dans d'autres dimensions de la guitare peu explorées.
R.A. - A ce propos, on entend parfois dire de la musique contemporaine en général que c'est surtout une suite d'effets gratuits, de gadgets sonores. A la guitare, par exemple, on assiste souvent à de belles "collections de timbres" dans des pièces dites modernes.
T.M. - Il est vrai que l'on a souvent utilisé dans la musique contemporaine des effets de timbre que j'appellerai "décoratifs" car ils servent d'ornementation au sens de la musique ancienne. Mais ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu. J'ai recherché a travers la guitare des moyens d'exprimer ce que j'exprimais ordinairement en musique ; ce résultat instrumental est une conséquence de cette recherche, c'est-à-dire la conséquence d'une volonté d'organisation et de composition et non un préalable. Je n'ai pas voulu modifier les principes d'écriture que j'emploie pour l'orchestre ou la musique de chambre. Ce que j'ai du modifier au contraire, c'est la façon de voir la guitare, ou plutôt, j'ai du redécouvrir (ou à défaut, inventer) ce qui dans la guitare pouvait correspondre à mes besoins d'organisation et d'évolution du son. A partir de ce moment-là, tous ces "effets" s'inscrivent alors dans une logique formelle extrêmement rigide.
Mais tout ceci n'empêche pas que la pièce fasse beaucoup d'effet, ce
que je recherche aussi !
R.A.- Que représente la guitare pour un jeune compositeur de la fin du XXe siècle comme vous ?
T.M. - Comme pour tous les instruments, je crois qu'on a dépassé le stade des connotations : autrefois le hautbois était champêtre et la guitare espagnole. On l'utilise maintenant pour son timbre qui est très beau, très chaud (cf. Le Marteau sans Maître). Néanmoins, elle est conçue pour la musique tonale et elle en souffre de même que la harpe ou le piano.
Il faut surtout que les guitaristes classiques évoluent. J'aimerais qu'ils puissent maîtriser ces techniques nouvelles, notamment les rasgueados et les techniques de percussion et d'entretien du son, et les ajoutent aux traditionnelles. C'est pour tous les instruments que l'évolution se fait actuellement dans le sens du timbre. Voyez les vents où les recherches ont débouché sur des possibilités multiphoniques et des timbres complexes.
R.A. - Vous vous occupez de plus en plus de musique électroacoustique, notamment au sein de ITINERAIRE. Croyez vous que, dans l'avenir, les instruments seront éliminés peu à peu ou au contraire cohabiteront en bon ménage avec le son. synthétique ?
T.M. - Mieux que ça, la tendance actuelle est au rapprochement et même à la synthèse des deux. Avec le synthétiseur, on peut arriver à une sorte de contrôle de l'instrumentiste sur le son électronique qui est des plus intéressant. Par exemple, il y a actuellement des synthétiseurs qui peuvent être commandés par un saxophoniste et qui fonctionnent comme un saxophone : ils répondent au souffle et aux coups de langue ! Et on peut avoir toutes les possibilités d'hybridation entre l'électronique et l'instrumental.
R.A. - Et pour la guitare ?
T.M. - Pour la guitare cela existe déjà depuis longtemps : c'est la guitare électrique ! Je l'ai beaucoup utilisée dans les œuvres d'ensemble : elle permet un contrôle très fin, très précis du son électronique. Mais cette question pourrait faire l'objet de tout un article !
Published in Les Cahiers de la Guitare n° 12 / 1984;
"TELLUR", an analysis
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